Monseigneur Wintzer, Archevêque de Poitiers, nous partage un texte de réflexion autour de la fin de vie

Quand le sage montre la lune, le sot regarde le doigt. 

Gouverner est un art difficile. Celle ou celui qui y est appelé doit se mettre à distance de lui-même, de la recherche de ses propres avantages, à distance pareillement des attentes immédiates de la population. Gouverner demande de poser des choix qui, souvent, démontreront leur bienfondé, voire leur fausseté, bien des années plus tard. Pour cette raison, gouverner demande de l’habileté ; des choix qui ne sont pas populaires peuvent sinon ne jamais être acceptés par la population. Certains projets de loi peuvent alors être interprétés comme une manière d’agiter un chiffon rouge plaisant à certains, développant l’ire des autres, en tout cas détournant les uns et les autres de sujets que l’on préfère tenir dans la discrétion. 

 Ainsi, les lois dites « sociétales » peuvent être ces miroirs aux alouettes bien utiles pour retenir l’attention. Pendant que les débats, les manifestations vont mobiliser les pour et les contre, pendant que des arguments, déjà connus, s’affronteront encore et encore, d’autres décisions, moins spectaculaires pourront être prises dans une certaine indifférence. 

Au sujet de la fin de vie, j’ai le sentiment que tous les arguments possibles et imaginables ont été déployés, soit pour demander la possibilité de l’euthanasie, du suicide assisté, soit pour affirmer que cette loi est inutile, que la législation actuelle permet de faire face à la plupart des situations – sachant qu’aucune loi ne pourra tout envisager, d’ailleurs une société où tout serait codifié, ou rien ne serait plus laissé à la capacité humaine serait invivable. 

 Bien entendu qu’un pays a besoin de lois qui marquent des ruptures symboliques de l’histoire ; le 9 octobre 1981, l’abolition de la peine de mort fut de celles-ci ; de même, auparavant, la loi de séparation du 9 décembre 1905. De telles lois portent tout en elles-mêmes, elles n’ont nul besoin d’être réécrites sans fin, de recevoir des compléments. D’où les interrogations au sujet des nouvelles législations qui entendent renforcer la laïcité, dont la loi du 24 août 2021 renforçant le respect des principes de la République. L’Etat de disposait-il pas de ce qui lui était nécessaire pour garantir le respect de l’ordre public ? Ajouter à certaines lois fondamentales, loin de les affermir les affaiblit. 

 Les lois qui touchent la vie : avortement, mariage pour tous, conditions de la filiation, fin de vie… sont en perpétuelle réécriture. Si une nouvelle loi concernant la fin de vie est débattue, voire votée, sera-t-elle définitive ? Certainement que non, des situations nouvelles, non prévues, apparaîtront, il ne peut en être autrement. Autant d’occasions de détourner l’attention du bon peuple vers le doigt plutôt que de l’orienter vers les sujets d’importance : écologie, financiarisation de l’économie, restrictions démocratiques, etc. 

 En ce qui concerne la maladie grave, la souffrance, la mort, le travail de fond est discret et humble. Il est celui des soignants, en particulier dans les unités de soins palliatifs, soins de la personne, expressions de fraternité et d’une compétence qui va au-delà des seuls gestes techniques pourtant nécessaires. Le travail des familles, douloureuses, désemparées, cherchant, modestement, que dire et que faire. Et enfin le travail de chacune et de chacun qui essaye de penser sa vie encore possible, encore digne alors qu’elle est entièrement remise aux mains des autres. Lieu suprême de notre humanité : née par les mains des autres, déposée sur le sein de la mère, et confiée, à son terme, à d’autres mains. Né dans un acte de confiance dont je ne pouvais avoir conscience, je meurs dans un autre acte de confiance, celui-ci volontaire et choisi. Chaque jour de ma vie m’ayant aidé, au-delà des lâchetés et des trahisons, à tenir et même à grandir dans la confiance dans d’autres vies que la mienne. 

+ Pascal Wintzer,
Archevêque de Poitiers