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La Vierge de Pitié, abbatiale Notre-Dame et Saint-Junien de Nouaillé-Maupertuis

à la découverte de la Pièta
de Nouaillé-Maupertuis

Nouaillé-Maupertuis – Paroisse Saint-Martin-en-Poitou

10km au nord-ouest de Poitiers

Par Monique Béraud*

un chef d’œuvre du frère convers
Faron Croulière

Ce groupe sculpté en terre cuite polychrome, présenté depuis 1971 dans l’église Saint-Junien de Nouaillé-Maupertuis, le long du mur sud, provient de la chapelle gothique du cimetière de Montvinard surplombant la vallée. La statue ornait le retable de cette chapelle dédiée à la Vierge où se déroulait un pèlerinage réputé aux XIe et XIIe siècles, encore en usage au XIXe siècle si l’on en croit H. Beauchet-Filleau qui évoque la procession du mardi de Pâques.

On connait l’artiste qui a réalisé ce chef d’œuvre, le frère convers Faron Croulière de l’abbaye bénédictine de Nouaillé et la date de son installation solennelle : le 14 avril 1653.

un magnifique exemple de statuaire baroque

Souvent, le terme italien de « Pietà » est utilisé pour désigner la Vierge des douleurs au pied de la croix. Ici c’est un face à face entre Mère et Fils. L’image n’a pas de fondement textuel dans les évangiles, mais provient du thème de la Déploration, juste après la Descente de croix. Des quelques témoins présents, ne sont retenus que la Vierge et son Fils martyrisé tenu sur les genoux. Ce thème émouvant de l’amour maternel, de la souffrance et de la mort apparait dans les années 1350, en pleine épidémie de peste, au cours de la guerre de Cent Ans. Il correspond à la dévotion mystique de participer aux souffrances du Christ et de la Vierge. Le concile de Trente au XVIe siècle met en avant ce thème qui touche la sensibilité du fidèle. Au XVIIe siècle, les Jésuites accordent une grande place à l’image et particulièrement au réalisme « affectif » en réaction à l’iconoclasme de la Réforme. Le culte marial se développe. En 1638, le roi Louis XII consacre le royaume de France à Marie. Le thème de la Vierge de Pitié traverse les époques puisque de nos jours encore des plasticiens s’emparent de cette scène de douleur.

La verticalité de la Vierge s’oppose à la diagonale du Christ. Assise, elle soutient le corps sur son bras gauche tandis que sa main droite retient délicatement celle de Jésus qu’elle présente comme une offrande. Son visage enserré dans une guimpe aux plis réguliers retenue par une broche exprime la douleur, le regard prostré. Le savant jeu de drapés du manteau et du voile enveloppant le corps répond aux canons esthétiques de la statuaire baroque.

On note le pied dépassant du socle, les courbes et contre-courbes du corps, l’opposition entre nudité et vêtements. L’élégance des plis cassés qui ondulent au sol, comme ceux du périzonium, la justesse des proportions font de cette œuvre un magnifique exemple de la statuaire baroque.
Les plaies de Jésus sont visibles, les yeux clos, la tête et le bras droit abandonnés : le sculpteur donne toute sa dimension dramatique à la mort exposée. A noter le coup de lance du soldat romain du côté droit alors que généralement, c’est le cœur qui est transpercé. La justesse de l’anatomie montre la main d’un maître dont on sait qu’il avait modelé d’autres œuvres en terre cuite peinte visibles dans l’église : le grand Christ au-dessus du maître-autel, à l’origine sur le jubé et un Christ de pitié et deux anges adorateurs dans la niche centrale de la grande armoire de sacristie. Avait-il reçu une formation dans les ateliers du Mans spécialisés dans le modelage de la terre cuite avant d’entrer en religion ?
Les couleurs -sans doute restaurées- manteau bleu bordé d’orfroi, robe rouge, sont conformes à l’iconographie traditionnelle, présentant ici Marie comme une grande dame.

Les fidèles pouvaient la contempler et s’identifier au drame dans cette chapelle érigée au milieu des tombes…

*

Après des études d’histoire et d’histoire de l’art à Poitiers, Monique Béraud est devenue guide-conférencière des Pays d’Art et d’Histoire dans cette ville en 1989. En parallèle, elle a enseigné l’histoire et le patrimoine, en particulier dans les sections de BTS Tourisme de l’ensemble scolaire Isaac-de-l’Étoile de Poitiers.

Elle vient de publier Rando – Poitiers (7 balades à pied & à vélo)