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Résister au rapport Sauvé ? Clefs de lecture
Publié le 27 octobre 2021

Cette tribune est publiée dans le journal La Croix du 27 octobre 2021

Mgr Pascal Wintzer exprime les résistances que peut éprouver un évêque devant les conclusions du rapport Sauvé, comme ses « recommandations qui touchent des appels à réformer l’Église ».

 

 

Peut-on résister au Rapport Sauvé ? A-t-on simplement le droit d’exprimer un tel questionnement ? Surtout lorsque l’on est un évêque ! Ce qui est possible, et sans doute souhaitable, c’est d’exprimer pour soi-même les résistances que l’on peut éprouver, pour les identifier et y apporter réponse. Aussi le faire publiquement afin de recevoir d’autres que soi-même les éclairages permettant d’aller plus loin que ses propres pensées.

 

Parmi les résistances qui peuvent exister, il y a celles qui viennent d’un manque de courage, voire d’une volonté plus ou moins exprimée de préserver sa tranquillité. Bien entendu, de telles attitudes sont moralement condamnables, elles peuvent même constituer des délits au regard de la loi, il revient alors à la justice de se prononcer.

 

Mais, les vraies résistances ne sont pas de cet ordre. En voici quelques-unes qui peuvent m’habiter à certains moments.

 

Avant tout, je suis toujours désarmé face à des propos ou des attitudes où l’affectivité, les sentiments, les émotions l’emportent. Animal à sang froid, estimant qu’il faut se mettre à distance de ses propres émotions pour opérer un jugement lucide, répugnant davantage encore à porter mes propres sentiments en bandoulière, je me sens en peine lorsque des personnes sont dominées par leurs émotions et les expriment avec force.
Cependant, n’ayant pas eu à subir de violences dans ma vie, je dois accepter que des personnes qui en ont été victimes, aussi qui n’ont pas été écoutées ni défendues comme elles auraient dû l’être soient à vif et le manifestent. Oui, il faut un temps pour tout. Vouloir que l’analyse, le jugement s’expriment d’abord, c’est risquer de ne pas donner place à ce qui doit l’être. Si l’émotion n’a jamais pu s’exprimer, comment s’étonner qu’elle surgisse à tel ou tel moment. Oui, il faut un temps pour tout : pour l’émotion, la colère, les sentiments les plus divers, il faut, ou plutôt il faudra pareillement le temps de la réflexion, mais… en son temps.

 

Une autre résistance peut s’exprimer lorsque l’on perçoit que des personnes semblent enfermées dans les violences qu’elles ont subies, leur vie paraissant parfois n’être mesurée que par ceci, un peu comme si la poursuite de leur vie et de leur histoire, ce qu’elles pourront construire, voire l’oubli des traumatismes étaient une infidélité à leur souffrance, un déni de justice pour elles comme pour d’autres victimes.
Certainement qu’il convient d’avoir conscience que l’histoire de chacun est singulière. Pour certaines, certains, la résilience, l’oubli qui n’est pas l’effacement de tout sont des moyens pour que la vie poursuive sa route. De telles attitudes ne peuvent être souhaitées ni encouragées par ceux qui exercent la justice, ni par ceux qui ont quelque moyen d’agir pour que justice se fasse, mais elles doivent être constatées. Le droit reconnaît la prescription ; celle-ci peut aussi contribuer à vivre un chemin de libération de ses propres souffrances.

 

Enfin, parce que je suis un évêque, mais je pense que de telles pensées habitent d’autres que des évêques, je peux résister à des recommandations qui touchent des appels à réformer l’Eglise. En quoi ceci concerne-t-il une commission dont les expertises appartiennent avant tout aux sciences sociales ? Même si des théologiens étaient membres de la CIASE. Et puis, sur certains points, ce qui est préconisé n’atteint-il pas l’Eglise dans des fondements qui ne lui appartient pas de changer, puisqu’ils sont reçus, sinon de son fondateur, du moins d’une tradition continue depuis presque deux millénaires ?

Le rapport Sauvé doit être reçu pour ce qu’il est et ce qu’il dit : il propose, et c’est ainsi que chacun doit l’entendre. Il laisse justement à l’Eglise catholique le soin de le recevoir et de mettre en œuvre, avec les moyens qui sont les siens, avec les pratiques de synodalité et de décision qui lui sont propres ce qui se trouve exprimé, aussi révélé en mode de dysfonctionnements systémiques.

 

Loin de discréditer des propos qui ne viendraient pas de son sein, l’Eglise doit sans cesse chercher à entendre à quoi Dieu l’appelle, et ceci, il le fait par les chrétiens, par ceux qui ont reçu des charges dans l’Eglise, mais aussi par d’autres personnes, d’autres lieux, d’autres institutions.
« L’Eglise catholique est fermement convaincue que, pour préparer les voies à l’Evangile, le monde peut lui apporter une aide précieuse et diverse par les qualités et l’activité des individus ou des sociétés qui le composent » Concile Vatican II, Gaudium et Spes, 40, 4.

 

Exprimer des interrogations, au sujet d’un rapport comme à tout autre propos n’en est rien dommageable ; tout au contraire, c’est ce qui permet que chacun vive le chemin qui lui est nécessaire et s’en donne les moyens.

 

 

+ Pascal Wintzer
Archevêque de Poitiers

 

 

*Quelques clefs de lecture

 

A la lecture de réactions suscitées par cette tribune, je me rends compte que ma manière de m’exprimer a pu provoquer, chez certains, des compréhensions faussées de mon propos. Je prie de m’en excuser, surtout, si ces mécompréhensions ont suscité des blessures.
Il me semble alors utile de préciser le sens de mes propos.

 

De manière générale, la lecture d’un texte conduit à se demander quelle est l’intention de son auteur. Le plus souvent, celle-ci est exprimée dans le titre et dans la conclusion, qui, ordinairement, se répondent ; c’est le cas ici.
Le titre porte une ponctuation ; elle est essentielle. Il s’agit en effet de s’interroger sur la possibilité d’exprimer des réserves à propos du Rapport Sauvé : « Résister au rapport Sauvé ? » Rien que de naturel. C’est honorer un propos que de le soumettre à une lecture critique ; au contraire, c’est supposer qu’il aurait peu de poids s’il ne supportait aucun examen. Ceci concerne tout objet, toute réalité. Ainsi les croyants qui le font à propos des textes de la Bible, c’est l’exégèse. Celle-ci permet de grandir dans la foi, plutôt que de se satisfaire d’une lecture fondamentaliste, voire crédule des Ecritures. Nos études, qu’elles soient scientifiques ou littéraires nous ont appris cela. Surtout, pour le christianisme, ceci se pratique depuis 2000 ans. C’est d’abord Jésus qui interroge l’Ancien Testament, non pour l’évacuer mais pour affermir sa portée. Plus près de nous, je pense à cette affirmation de Newman : « En matière de foi, mille questions ne font pas un doute ». Ou encore à celle-ci, de Karl Rahner : « Qu’est-ce que je dis quand je dis Dieu ? ».

 

Ensuite, le texte commence par dire ce dont il ne sera pas question pour s’arrêter à trois interrogations perçues au sujet du Rapport Sauvé. Ces interrogations sont-elles les miennes ? Cette question importe peu ; en tout cas je les fais miennes par commodité narrative.

 

Les trois paragraphes sont construits de la même manière : d’abord je pose le problème, sous forme interrogative ; ensuite, je propose une réponse. Je me suis aperçu que des lecteurs ont compris que l’interrogation était une affirmation ! Ce qui altère complètement le propos ; je ne vois d’ailleurs pas comment, si la lecture se fait ainsi, on peut recevoir la réponse proposée ensuite à l’objection.
Loin de mettre en cause le rapport de la CIASE, le texte souligne comme il offre des résistances aux résistances qui peuvent s’exprimer à son sujet.

 

Je le conçois, et le constate… mon expression peut conduire à des confusions ; j’en assume la responsabilité. Cependant, je veux encore espérer que nos œuvres, petites ou grandes, peuvent dépasser le seul alignement des mots pour susciter un exercice de réflexion. Oui, un texte est d’abord un jeu de langage, il est fait de signes, de symboles, d’allusions, toutes choses qui suggèrent que ce qu’il y a à entendre est au-delà de la seule matérialité des lettres et des mots.

 

Je remercie ceux qui m’ont lu jusqu’ici ; mais je m’arrête. Déjà par ce que je viens d’écrire j’ai dérogé au principe qui veut qu’un texte publié n’appartient plus à son auteur mais à ses lecteurs.

 

 

+ Pascal Wintzer
Archevêque de Poitiers

 

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