Entretien avec Mgr de Moulins-Beaufort*, dans La Croix
(lundi 11 mars 2024)
* président de la Conférence des évêques de France
Quelques jours seulement après l’inscription du droit à l’interruption volontaire de grossesse dans la constitution, ce texte touche une nouvelle fois à une question éthique : comment réagissez vous, êtes-vous inquiet de ces évolutions ?
Notre pays devrait être, depuis la loi Claeys-Léonetti, un pays en pointe sur les soins palliatifs. Or, dans son entretien avec vous, le Président présente un texte tout ficelé sur ce qu’il appelle « l’aide à mourir » mais, sur les soins palliatifs, de vagues promesses, avec un chiffrage tout à fait approximatif. C’est l’équilibre exactement inverse de ce que Mme Vautrin m’avait décrit mercredi matin. Ce qui est annoncé ne conduit pas notre pays vers plus de vie, mais vers la mort comme solution à la vie. Je l’ai dit comme beaucoup d’autres et je le redis : les Français n’envisageraient pas de la même manière la fin de vie si les soins palliatifs étaient chez nous une réalité pour tous partout, comme le voulait la loi dès 1999. Ces derniers temps, non seulement rien n’a été fait pour apporter des soins palliatifs là où il n’y en a pas mais les moyens de plusieurs services existants ont été réduits encore. C’est cela la vérité.
Vous avez rencontré le président de la République à plusieurs reprises, notamment sur ce sujet de la fin de vie : retrouvez-vous dans ce texte ce que vous avez pu lui dire ?
Le Président a annoncé depuis longtemps ne pas vouloir brusquer les esprits sur les sujets sociétaux. Il a reçu beaucoup de personnes, y compris les responsables de culte, c’est indéniable. Mais il est habile aussi. Il parvient à reprendre et à approprier au texte annoncé notre grand point d’insistance qui est la fraternité. Appeler « loi de fraternité » un texte qui ouvre à la fois le suicide assisté et l’euthanasie est une tromperie. Une telle loi, quoi qu’on veuille, infléchira tout notre système de santé vers la mort comme solution.
Le président de la République a présenté lors d’une interview accordée à La Croix le projet de loi portant sur la fin de vie. Il n’y parle ni d’euthanasie, ni de suicide assisté mais d’aide à mourir. Quelle est votre première réaction ?
C’est de la rhétorique. En réalité, le texte ouvre la voie aux deux possibilités en même temps. Nous, évêques, demandons que la société aide à vivre et à vivre jusqu’au bout, jusqu’à la mort. Ce qui aide à mourir de manière pleinement humaine, ce n’est pas un produit létal, c’est l’affection, la considération, l’attention. Le Président met en avant les « souffrances réfractaires ». Elles font peur à tout le monde. Mais bien des spécialistes assurent que leur traitement médical progresse. Qu’est-il fait pour encourager la recherche ? Bien sûr, il y a des souffrances, et personne ne souhaite souffrir, les catholiques pas plus que les autres. Je ne sais pas ce que je serais capable de supporter et je n’ai aucune envie de souffrir, ni de voir souffrir mes proches, ni personne. Mais penser que la solution consiste à mourir et non pas à soutenir, accompagner, aimer… c’est effrayant ! Ne vaudrait-il pas mieux développer le soutien aux « aidants » ?
Emmanuel Macron a présenté quatre conditions pour que le patient puisse demander une aide à mourir : ces conditions vous paraissent-elles suffisantes pour réglementer l’aide à mourir et respecter les personnes ?
Le texte, à ce qui en est dit, limiterait le sujet avec précision. Mais permettez-moi de rappeler que la loi en France est faite ultimement par le Parlement. Comment le débat y sera-t-il maîtrisé ?
Le président énonce un cadre très précis, avec l’intervention dans des délais courts et une décision collégiale de l’équipe médicale : cela ne fait-il pas peser une responsabilité trop lourde aux soignants ?
Je ne peux pas parler à la place des soignants. Ils diront ce qu’ils pensent de la responsabilité qui leur
est donnée. Je crois au caractère normatif de la loi. Elle infléchit forcément les usages, les
comportements, les manières de penser : au cœur de notre système de santé, il y aurait désormais ce
possible, tellement plus facile et moins coûteux que tout le reste.
La personne habilitée à procéder au geste létal pourra être le patient lui-même, une personne de confiance ou encore le personnel médical. Nulle part n’apparaît une clause de conscience spécifique : n’est-ce pas un manque ?
Cette absence est caractéristique, je le crains, de la philosophie globale de ce texte. Quel est, quel sera notre pacte social ? Je suis stupéfait que les EHPAD soient mentionnés parmi les lieux possibles. Comment réagiront les autres résidents ? A quel double jeu veut-on contraindre les personnels soignants ?
Une partie importante du projet de loi porte sur les soins palliatifs. N’est-ce pas la meilleure réponse à la détresse qui touche les patients et les familles ?
Je ne vois pas que ce soit une partie importante du projet. A ce stade, il n’y a que des promesses vagues, comme depuis vingt ans. Nous avons besoin, non seulement d’unités de soins palliatifs, mais du développement d’une culture de l’accompagnement de la douleur depuis le commencement de la prise en charge des patients. Le Président en parle, mais il faut des actes concrets.
Il y a un peu plus d’un an, l’Académie pontificale pour la vie s’est montrée favorable à ce que l’Église italienne ne s’oppose plus à la législation sur le suicide assisté. L’accès au suicide assisté est elle un moindre mal par rapport à l’euthanasie dans une société où la culture chrétienne n’est plus majoritaire ?
Le moindre mal reste un mal. Le projet actuel mêle les deux gestes. La foi chrétienne éclaire en profondeur notre conception de la vie et de nos responsabilités humaines, mais il n’y a pas besoin d’être chrétien pour penser qu’une société se grandit en refusant de donner la mort et en mobilisant ses forces pour accompagner chacun jusqu’au bout de sa vie. Il n’y a pas besoin d’être chrétien ni même de croire en Dieu pour comprendre le danger qu’il y a à ce qu’une société participe à mettre fin à une vie humaine.
Le projet de loi va être soumis au Parlement dans les mois qui viennent : allez-vous manifester d’une manière ou d’une autre contre ce projet de loi de l’aide à mourir ? Que voudriez-vous dire aux parlementaires ?
Nous essaierons de dialoguer avec tous. L’enjeu est immense. J’invite les parlementaires à mesurer combien est ambigu le texte annoncé. Ils ont voté la loi Claeys-Léonetti. Il leur revient d’exiger qu’elle soit mise en œuvre réellement. A eux aussi de veiller à ce que notre pays encourage chacune et chacun à vivre. Qu’ils réalisent le poids que le vote d’une telle disposition fera peser sur nos concitoyennes et concitoyens malades, proches de la fin de leur vie et seuls. Comment ne se sentiront-ils pas, encore davantage, un poids inutile sur la société ? Tout être humain est nécessaire à tous les autres.
Que voulez-vous dire aux catholiques ?
Ils ne sont pas seuls à penser que la vie humaine mérite d’être accompagnée jusqu’au bout et à ne pas
vouloir d’un tel texte. Ils ont comme citoyens une responsabilité à exercer pour que notre pays approfondisse son service de tous. Ils peuvent s’engager davantage encore pour soutenir ceux et celles qui s’approchent de la mort. Il vaut la peine qu’ils encouragent leurs parlementaires à ne pas se laisser entraîner par des émotions ou par la peur d’être traités de conservateurs. C’est un faux progrès que d’offrir la mort comme solution.