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P. André Talbot : Réflexion éthique en temps d’épidémie
Par le Père André Talbot Du côté des médias On constate une polarisation largement dominante sur la crise sanitaire et le confinement. Les infos traitent quasi exclusivement de ce thème. Quand le regard se porte sur des pays étrangers, c’est à peu près toujours sous l’angle du coronavirus. L’attention des informateurs se trouve tellement centrée […]

Par le Père André Talbot

Du côté des médias

On constate une polarisation largement dominante sur la crise sanitaire et le confinement. Les infos traitent quasi exclusivement de ce thème. Quand le regard se porte sur des pays étrangers, c’est à peu près toujours sous l’angle du coronavirus. L’attention des informateurs se trouve tellement centrée sur cette question, que des événements lourds de conséquences, en tel ou tel pays, peuvent passer inaperçus. On remarque cependant l’honnêteté des scientifiques qui disent ce dont ils sont sûrs et reconnaissent que sur bien des points « on ne sait pas ! » alors que les journalistes voudraient les acculer à prédire l’avenir.

Cette polarisation exclusive nous masque bien d’autres drames : qui nous parle des 8 millions d’habitants du Zimbabwe (la moitié de la population de ce pays) qui sont menacés par la famine en raison de la sècheresse et des criquets, mais aussi sans doute d’une mauvaise gouvernance ? Certes, il faut évoquer les risques du coronavirus, y compris pour les Africains, mais sans oublier la famine et la violence endémique.

Pour nous aider à vivre un peu mieux la phase du confinement, des ouvertures culturelles seraient bienvenues, nous sommes bien plus disponibles que lorsque nous nous laissons aller au tourbillon du quotidien. Alors que notre monde, si sûr de lui, se trouve face à ses fragilités, ces ouvertures pourraient nous aider à prendre du recul concernant les valeurs de référence et à mettre en lumière des raisons de vivre plus solides, de manière à réorienter l’avenir. Nous nous bercions d’une illusion de toute puissance, certaines voix nous invitaient déjà à prendre en compte la fragilité de toute vie : continuons d’approfondir ces questions. Loin de polémiques gonflées artificiellement, des scientifiques emploient le mot humilité ; souhaitons que nombre de commentateurs découvrent cette belle vertu !

Le sens du devoir

Alors que l’on surfe le plus souvent au gré des envies, voici que nous redécouvrons l’importance de la règle et l’intérêt des obligations ; même si certains jouent avec les consignes, nous avons pu constater un changement rapide, en quelques heures, de nos manières de vivre. Heureusement, nous savons distinguer ce qui est vital et ce qui demeure secondaire. Souhaitons qu’après la crise nous conserverons cette qualité de jugement.

Notons aussi le sens du devoir, de la part de toutes les personnes qui ont en charge le bien public, avec en première ligne les soignants, pourtant malmenés par les politiques depuis des années et qui manifestent un sens civique remarquable. La volonté de prendre soin se montre active. Et le sens du devoir ne se borne pas à la stricte application de consignes ; tout au contraire,  il provoque une créativité admirable.

On nous renvoie souvent les images de gens immatures, obsédés par la satisfaction de leurs envies et incapables de prendre de vraies responsabilités. Ces caricatures se révèlent en partie fausses. Sans doute ne met-on pas assez en valeur les solidarités qui se jouent déjà au quotidien, dans la vie normale, et qui se trouvent démultipliées en ce temps de crise. Par peur de passer pour des naïfs, vous savez, la honte suprême de se faire traiter de « bisounours », on en rajoute dans une vision négative et égoïste de notre humanité. Or il y a bien de la joie dans ces services les plus simples, ne boudons pas ce bonheur à notre portée !

Les obligations ravivent aussi notre sens de la responsabilité. En se conformant à la règle, on se protège soi-même, mais on protège aussi les autres. La propagation de ce virus nous rappelle que nos attitudes ont un impact sur la vie d’autrui et que les conséquences peuvent être exponentielles. De manière moins visible, avec des effets moins immédiats, nos lâchetés quotidiennes peuvent également avoir un effet de contamination. Nos choix quotidiens peuvent manifester une estime de soi authentique, mais ils ont aussi un impact sur la vie des autres ; ils affectent également, en positif ou en négatif, la vie commune.

 Un aperçu politique

Nous ne parlerons pas d’abord du PIB et du risque de récession ; il faut oser dire que ce n’est pas le plus important. Ce choc, qui affecte nos images de réussite et de maîtrise quasi absolue du monde, doit nous obliger à réévaluer nos critères de jugement et nos choix. Tout d’abord à l’égard d’une mondialisation naïve. Elle était censée apporter plus de bien être à tout le monde, notamment par l’accès à plus de biens et par une vie commune plus pacifiée. Depuis Montesquieu, la promesse d’un « doux commerce » fait entendre sa musique doucereuse. Mais il y a aussi la face tragique et violente du monde. De fait, la grande pauvreté a diminué, mais les inégalités grandissent et des populations se trouvent assignées à des conditions de vie indignes.

La mondialisation montre ses limites. Nous manquons de masques sanitaires, parce qu’ils étaient produits bien loin, à bas prix. Et nous découvrons qu’il n’est pas aisé de se remettre à en fabriquer. La course aux prix bas n’est pas une bonne nouvelle, elle comporte deux défauts majeurs. D’une part, elle pèse lourdement sur les revenus et les conditions de vie des plus fragiles ; pensons aux femmes et parfois aux enfants qui produisent nos vêtements en Asie, mais aussi chez nous aux agriculteurs. D’autre part, le produit à bas coût provoque la surconsommation, avec des conséquences dramatiques sur l’environnement, pensons à l’impact écologique d’un vêtement en coton qui en plus a parcouru des milliers de kilomètres. La course à la consommation fait des ravages, en laissant croire que le bonheur se confond avec une quantité croissante de biens disponibles ; et parfois ils deviennent des déchets avant même d’être utilisés. Lisons, relisons Laudato si’ du pape François.

Parlons aussi des questions économiques

Pourquoi considérait-on, il y a peu de temps encore, l’argent consacré à l’hôpital comme un poids économique exagéré ? Pourquoi avoir laissé se dégrader les conditions de travail des soignants ? L’engagement actuel de ces derniers montre un sens de la responsabilité qui donne des leçons aux décideurs politiques. Pourquoi dans le même temps une publicité pour les SUV, ces gros machins à quatre roues qui ont un grave impact écologique, même s’ils sont électriques, passe-t-elle pour une bonne nouvelle économique ? Osons bousculer certains tabous !

Le temps est venu de choix vraiment raisonnés, c’est-à-dire qui savent résister aux intérêts des puissances économiques et financières Nous pouvons choisir de mieux payer les soignants et toutes les personnes qui travaillent dans le service à la personne, en taxant plus lourdement l’optimisation fiscale, la publicité agressive, etc. Nous devons aussi cultiver une certaine autonomie, la mondialisation à tout va aggrave les faiblesses.

Nous voyons tournoyer des chiffres impressionnants : la France mobilise 45 milliards pour le soutien à l’économie, la banque centrale européenne met 750 milliards sur la table pour faire face aux nécessités. On rappelait encore récemment qu’avec 25 milliards on pourrait améliorer la situation des populations les plus pauvres dans le monde, sachant aussi que la pauvreté est une violence qui engendre la violence.

Espérons que notre courage politique survivra à la pandémie !