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Une Eglise qui se rassemble et célèbre son Seigneur
Publié le 25 août 2020

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Vivre en abondance

Depuis mars 2020, nous traversons une situation inédite pour nos générations, la limitation des libertés du fait d’un virus contre lequel nous ne disposons pas actuellement d’arme efficace.
Il faut dire que et ceci et cela sont absurdes : le virus qui n’a d’autre valeur que son existence et sa capacité de nuisance, et les moyens utilisés pour nous en prémunir, que je résume à l’arrêt de la vie ; en effet, qu’y a-t-il de moins humain, de moins digne, que de vivre dans le confinement généralisé et la peur d’autrui ?
Si l’on admet qu’en l’absence de vaccin ce moyen est celui qui garantit le mieux de la contagion et que ceci doit être respecté, on se doit pourtant de résister intellectuellement et spirituellement à ce que ces pratiques pourraient induire : méfiance les uns vis-à-vis des autres, isolement, absence de relations, etc.
Or, le masque, comme les autres gestes protecteurs, loin de supprimer la vie, le travail, les relations, et aussi la prière, les permettent. Ce serait ne pas utiliser ces moyens qui exposerait au risque et donc isolerait.

C’est donc par la vie que l’on répond à ce qui veut la restreindre. Il convient dès lors que le diocèse, les paroisses, les écoles, les mouvements, formulent leurs projets pour l’année pastorale qui s’ouvre. Il n’y a aucune raison pour que nos agendas soient plus vides qu’ils ne le sont les autres années, sinon la peur, laquelle n’a aucun bienfait. On sait les gestes qui préviennent la contagion, l’absence de projet n’est pas de ceux-ci ; bien au contraire, ceci donnerait au virus des effets dont il ne dispose pas. Ne collaborons pas avec lui, donc, vivons !

Pour nous, catholiques, la période passée a suscité des prises de position diverses au sujet d’un de nos marqueurs les plus forts, le sacrement de l’eucharistie, la messe. Certains ont exprimé leur souffrance de ne pouvoir y participer, d’autres ont développé la prière personnelle et familiale ; attitudes qu’il ne s’agit pas d’opposer, elles se complètent. La semaine précédant la Pentecôte, les églises ont pu se rouvrir aux liturgies communautaires, moyennant certains comportements, lesquels demeurent au moment où j’écris ces lignes. Je sais que ces règles sont une complexité pour les prêtres et les équipes, qui, pourtant, les mettent en œuvre avec attention.
Cependant, elles peuvent susciter des réticences qui les revêtent d’un poids indu. Certes, elles sont contraignantes, mais toute règle n’est juste qu’à la mesure où elle se fait oublier et où s’exerce la capacité d’autonomie de chacun. Vivons les règles sanitaires, mais surtout, je le redis, continuons à nous rassembler et à vivre, sinon, à quoi bon ces règles, autant nous reconfiner.

N’amputons rien de ce qui fait la vie, ne limitons pas la vie à préserver sa seule existence biologique, refusons une vie étriquée. Certes, sans celle-ci, aucune vie possible, pourtant, par le baptême et la confirmation, c’est à la vie éternelle que nous sommes nés et à laquelle nous sommes appelés. Prière, sacrements, vie spirituelle, vie fraternelle, sont pour nous des éléments essentiels sans lesquels la vie perd son prix.

Nous rassembler

Les débats suscités par la reprise de la messe ont mis l’accent sur ce qui est au cœur de notre foi et de notre vie : se nourrir de l’eucharistie pour qu’elle nous fasse corps du Christ.
En effet, enracinés dans le baptême et la confirmation qui nous ont faits fils et filles du Père, nous savons que cette vie filiale se nourrit du Christ, notre Seigneur et notre frère, par notre participation au sacrement de l’eucharistie. L’expression de la demande pour que l’Eglise « fasse » à nouveau l’eucharistie, s’entend dès lors comme l’appel à ce que l’eucharistie « fasse » l’Eglise. Ne pouvant nous rassembler, nous nourrir du sacrement du corps et du sang du Christ, c’était aussi voir le corps que nous formons en souffrance.
Ceci, seule la communion eucharistique le permet, la consommation réelle du pain de la Vie, jamais aucun déploiement de celle-ci, si respectueux soit-il, je pense à la communion de désir ou bien à l’adoration du Saint Sacrement, ne peut tenir lieu de la participation au sacrement eucharistique. Les paroles du Seigneur sont claires et sans équivoque : « Prenez et mangez », « Prenez et buvez ».
C’est bien ceci qui a été en souffrance durant plus de deux mois, mais qui l’est pareillement lorsque, pour raison d’âge, de santé, d’éloignement géographique, nous ne pouvons participer au sacrement eucharistique. J’en suis certain, s’éloigner de la communion éloigne immanquablement d’une vie d’Eglise. Nous habituer à ne plus avoir faim de l’eucharistie nous habituera à ne plus avoir faim de la communauté.
Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du lait sans argent, sans rien payer. Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez-moi bien, et vous mangerez de bonnes choses, vous vous régalerez de viandes savoureuses ! Isaïe 55, 1-2

Le confinement, même vécu en famille, est l’antithèse de ce que nous sommes et de ce pour quoi Dieu nous a créés. Certes, nous ne pouvons vivre sereinement et de manière juste sans une part de silence, de recueillement, de solitude, mais ce ne peut être notre lot ordinaire. De même, l’Eglise, ainsi que l’exprime le sens de ce mot, est « assemblée ». Télétravail, visioconférences, achat en ligne, etc. peuvent certes avoir des avantages, ils ne construisent pas une humanité constituée d’êtres de chair et de sang.

Cette lettre pastorale se veut une introduction aux rencontres qui sont proposées cet automne. Elles seront consacrées à nos assemblées liturgiques, eucharistiques et de la Parole. Elles ont été préparées et seront animées par les services diocésains de la prière et des sacrements ainsi que de la vie spirituelle.
Le texte que vous avez sous les yeux est volontairement succinct. Il parle de sujets que j’ai déjà abordés ailleurs, dans des textes auxquels je vous renvoie. Ce sont les trois messages publiés lors du confinement (aux fidèles, aux diacres et aux prêtres), ainsi que la Lettre pastorale consacrée au sacrement de l’eucharistie : « Le pain qui met en route ». Tout ceci est facilement accessible sur le site internet diocésain.

Honorer le dimanche

Le temps existe parce qu’il s’inscrit dans un calendrier où les heures et les jours ont chacun leur sens et leur valeur propres ; notre époque court le risque de voir les césures, la spécificité des jours et des moments ne plus se manifester.
Pour nous, le dimanche doit demeurer un jour différent des autres, et ceci parce que l’on sait y vivre autrement. Lorsque je parle du dimanche, je le fais commencer le samedi dans la seconde partie de l’après-midi. En effet, le calendrier chrétien, fidèle au calendrier juif, voit le dimanche commencer, tel le sabbat, la veille au soir
Dans la liturgie, les vêpres du samedi sont les « premières vêpres » du dimanche. En conséquence, les messes du samedi soir, sont à proprement parler des messes dominicales, il n’est pas juste de parler de « messes anticipées » comme ceci est inscrit encore trop souvent sur des annonces paroissiales.
Le dimanche est le jour du Seigneur, un jour de repos, un jour pour la famille. Dans la lettre écrite lors de la sortie du confinement, Le matin sème ton grain, Mgr Eric de Moulins-Beaufort, Président de la Conférence des évêques de France, écrit ceci, que je reprends bien volontiers : « Je suggère, sans doute est-ce un rêve éveillé, qu’une fois par mois un dimanche soit ‘’confiné’’ partout dans notre pays : un dimanche sans voiture et sans dépasser un certain périmètre, sans commerces, sans travail productif, où tous soient appelés à chercher des activités accessibles à pied ou à bicyclette ou en transports en commun .
La mise en œuvre d’une telle proposition obligerait à se rendre collectivement capables de proposer des activités culturelles et sportives et religieuses et spirituelles à proximité de tous les quartiers, dans les villes et les villages » Mgr Éric de Moulins-Beaufort, Le matin, sème ton grain. Lettre en réponse à l’invitation du Président de la République. Bayard, mai 2010, p. 24-25.
Cet appel invite à privilégier les relations de proximité, de voisinage. Pour la prière, dans l’église de son quartier, de son village, autrement dit dans des liturgies de la Parole, dans les divers sens de ce terme : Parole de Dieu, parole échangée, parole que dit la nourriture partagée.

« Pourquoi les cloches, pourquoi les vêtements de fête, pourquoi venir à l’Eglise ? Parce que nous savons, parce que nous croyons que nous avons une âme, une âme immortelle, et que nous sommes appelés à vivre, non pas seulement ici-bas, la vie mortelle de nos corps, mais éternellement et dès maintenant, une vie d’âme. Le sens du dimanche, c’est d’affirmer que nous ne sommes pas vivants seulement selon la terre et pour la terre, mais aussi selon Dieu et pour Dieu, d’une vie d’âme immortelle » Yves Congar, Au cœur de la liturgie chrétienne. Lex orandi, Cerf, 2018, p. 208.

« Il nous faut des églises dans un monde qui n’est plus le paradis et qui n’est pas encore le Royaume ; il faut qu’un jour spécial soit consacré au Seigneur au milieu des autres jours. C’est un signe et une promesse de ce que nous espérons, à savoir un repos joyeux dans une nouvelle création issue de Pâques, dont le dimanche est le mémorial » id, p. 196.

Synode diocésain

Orientation 17 :

Faire du dimanche un jour privilégié de rencontre avec Dieu et avec les autres.
Le premier jour de la semaine donne le sens de toute vie baptismale. Malgré les nouveaux rythmes de vie, il nous faut chercher à orienter ce jour mémorial du mystère pascal vers le Seigneur qui nous envoie vers nos frères et sœurs.

Quelques propositions pour aller en ce sens…

  • Faire connaître ce qui existe déjà et qui permet de déployer le sens du dimanche : dimanches autrement, B’Abba, liturgies baptismales, temps de rencontres communautaires, repas partagés, liturgie des heures…
  • Soigner l’accueil, notamment des nouveaux venus ou des gens de passage et la participation de tous aux célébrations.
  • Célébrer des étapes de vie : anniversaire de mariage, déménagement, diplômes, etc…
  • Rendre accueillantes les églises et disposer d’un lieu d’accueil qui donne des informations sur la vie de la paroisse.
  • Adjoindre, quand cela est opportun, un temps fraternel avant ou après nos liturgies.

Orientation 18 : 

Relayer et créer des propositions personnelles et communautaires autour de la Parole de Dieu.
Ce que l’on vit le dimanche demande à être déployé dans la semaine pour irriguer toute la vie chrétienne.

Quelques propositions pour aller en ce sens…

  • Là où cela sera possible et opportun, proposer des liturgies de la Parole ouvertes largement qui favorisent l’expression de tous et qui soient des lieux d’initiation à la messe.
  • Élaborer des outils pédagogiques, notamment vidéos, pour expliquer les rites de la messe et favoriser une meilleure compréhension de ce qui y est vécu.
  • Proposer des outils numériques pour soutenir la prière personnelle ou familiale le dimanche.

Célébrer

L’Eglise est telle parce qu’elle s’assemble, localement, en petites fraternités, en communauté locale, mais aussi, en paroisse, tout spécialement pour le sacrement de l’eucharistie.
Il me semble que nous avons encore du chemin à faire pour saisir que les assemblées chrétiennes peuvent revêtir diverses formes. Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, je crains que trop souvent nous raisonnions, voire agissions non sous le mode de la complémentarité mais du choix, autrement dit de l’exclusive.
Ainsi, on laisse parfois penser que pour que les femmes exercent de réelles responsabilités dans l’Eglise, il faudrait que les hommes (prêtres et évêques) cèdent leur place ; ou bien, pour que les laïcs vivent à plein leur baptême, que le clergé ne soit plus ce qu’il est. Chacun doit s’interroger sur ce qui habite son esprit. Evêque, je parle donc de ce qui le concerne, ainsi que prêtres : craignons-nous de ne plus exister si des fidèles assurent des missions de responsabilité, d’annonce de la Parole ? Non, ce sont et les uns et les autres, assumant pleinement ce qu’est chacun de par l’appel reçu et la mission donnée.

Alors, pour ce qui est de nos assemblées dominicales, ce n’est pas la messe ou rien, mais bien la complémentarité des liturgies et des lieux, comme de la taille des assemblées. La messe dominicale doit être et demeurer un moment de fête, de liturgie soignée et festive, elle doit surtout être un rassemblement, le plus possible, de l’ensemble de la paroisse.
Ainsi que je l’ai écrit et dit de nombreuses fois, la messe dominicale appelle un lieu et un horaire uniques et réguliers, une église suffisamment vaste, mais aussi bien équipée (sonorisation efficace, chauffage si possible, accès aisé, parking, etc.). La messe dominicale n’est pas réservée à quelques initiés, mais ces derniers, dont je suis bien entendu, doivent toujours avoir le souci de l’accueil de celles et de ceux qui ne sont pas inscrits dans nos cercles d’habitués.

Ce qui a manqué, pendant le confinement, c’est le corps du Christ, que nous devons comprendre comme désignant à la fois le corps eucharistique et le corps ecclésial ; une fois encore ne pensons pas sous le mode de l’alternative mais de la conjonction. Ainsi que le sous-entend ce mot, le « corps » est réel, il se reçoit, s’éprouve ; la messe c’est recevoir en communion le corps et le sang du Christ et vivre des relations fraternelles. Ceci ne peut se satisfaire d’une « communion spirituelle », tant pour l’eucharistie que pour l’Eglise.
« Une expression qu’on entend fréquemment est celle-ci : ‘’Si vous ne pouvez pas faire une communion sacramentelle, faites au moins une communion spirituelle.’’ Mais quel est le sens d’une communion sacramentelle sinon de réaliser la communion spirituelle, c’est-à-dire d’unir à Dieu et aux frères dans les champs immenses de la charité ? La communion spirituelle est dans l’Esprit, par le Christ, avec Dieu et avec les frères : elle est la raison d’être de la communion sacramentelle ! Elle n’en est pas le succédané » Ghislain Lafont, La catholicisme autrement ? Cerf, 2020, p. 111.

« La présence du Corps et du Sang du Christ n’est pas une fin en soi, elle est le moyen à la fois de rendre présent le sacrifice unique de Jésus, de l’ouvrir au sacrifice de l’Eglise et ainsi de réaliser cette ‘’chose’’ (res) mystérieuse qu’est le ‘’sacrifice spirituel’’, qui met en contact avec le Père dans l’Esprit et unit les hommes les uns aux autres. C’est en fonction de ces données qu’il convient d’évaluer nos pratiques de l’Eucharistie » id, p.108.

Dans un livre récemment réédité, déjà cité un peu plus haut, le Père Yves Congar, que Jean-Paul II créa cardinal, développe sa réflexion d’une théologie chrétienne de la liturgie. Vous invitant à sa lecture, je peux simplement ici souligner ce qu’il écrit au sujet de la finalité de la liturgie, et de l’eucharistie.
C’est sur son sens ecclésial qu’il insiste, loin de toute dévotion personnelle ; oui, la finalité de l’eucharistie, dont celle du geste de la communion, c’est de constituer le corps du Christ.
« La célébration eucharistique ne se réduit pas à une consécration valide : elle est un acte liturgique et ne répond à sa finalité que si elle assure en même temps la double fin de glorifier Dieu et de sanctifier les hommes. Elle n’est pas non plus la chose du prêtre ordonné, elle est la chose de l’Eglise dont le prêtre ordonné n’est qu’un ministre (serviteur) : l’Eglise, d’une façon ou d’une autre, doit être là » Yves Congar, Au cœur de la liturgie chrétienne. Lex orandi, Cerf, 2018, p. 114-115.

Dans la liturgie de l’eucharistie, nous participons d’une double hospitalité : le Seigneur nous accueille chez lui, il nous introduit au Royaume de son Père, alors même que nous l’accueillons dans nos églises et dans nos cœurs. Les attitudes de Marthe et de Marie peuvent alors nous montrer ce à quoi nous sommes appelés. Comme Marthe, nous agissons de telle manière que le Seigneur se trouve bien chez nous, que le cœur et la vie y soient disponibles ; comme Marie, nous comprenons qu’il y a au-delà de nos bonnes dispositions et de nos préparatifs, pourtant nécessaires, c’est une vie qui sait que l’essentiel est un don reçu gratuitement. Avec Marthe nous accueillons le pain et le vin eucharistiques, avec Marie nous participons déjà au Royaume espéré.
Chemin faisant, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut.
Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole.
Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. » Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. » Luc 10, 38-42.

La présence du Christ dans l’eucharistie

La foi chrétienne appelle, pour être vécue justement, que nous fassions effort non pour nous abstraire du monde, nous y sommes envoyés et c’est là que Dieu nous attend, mais pour que ses schémas de pensée ne soient pas le prisme à travers lequel nous comprenons notre foi et nos pratiques liturgiques.
L’histoire de la pensée chrétienne illustre que ceci n’a jamais été simple, en particulier pour ce qui concerne l’eucharistie et singulièrement la modalité selon laquelle le Christ y est présent.
Lorsque nous parlons, à bon droit, de « présence réelle » nous comprenons trop souvent une présence matérielle, sensible, physique presque ; alors que s’il est question de présence sacramentelle, spirituelle, nous pouvons supposer que ces mots, pourtant justes, n’honoreraient pas la réalité de la présence du Christ. La pensée matérialiste conduit trop souvent à penser que le vrai serait dans ce qui se mesure et s’évalue, dans ce qui est tangible.
Sur cette question, dans un livre publié cette année, Bernard Sesboüé, jésuite comme Yves Congar est dominicain, éclaire avec son savoir et son sens pédagogique cette délicate question. En voici quelques extraits.

Le Moyen-Âge va opérer des distinctions quant aux modalités de la présence du Christ. Il faut en effet attendre cette période, la charnière des premier et deuxième millénaires, pour que la réflexion théologique se développe à ce sujet. Le premier millénaire n’a pas éprouvé le besoin de chercher des expressions conceptuelles pour dire la manière dont il comprenait la présence du Christ dans l’eucharistie, les paroles du Seigneur rapportées par l’Ecriture, suffisaient à appuyer la foi et la pratique des Eglises.
C’est au moment où la philosophie prend de plus en plus de place dans la pensée chrétienne savante qu’apparaît une réflexion au sujet de ce qui sera désormais exprimé en termes de « présence réelle ».
Souligner ceci appelle certes à prendre en compte ces développements qui appartiennent à l’histoire de la pensée chrétienne, sans pour autant survaloriser ce discours, au détriment de la source, les Ecritures saintes.

« Il y a trois modalités d’expression et de réalité du corps du Christ ou trois formes du corps du Christ : le corps historique de Jésus, c’est-à-dire le corps physique du Jésus pré-pascal, né de la Vierge Marie, mort sur la croix et qui est désormais ressuscité. Le corps eucharistique du Christ, corps sacramentel dont le mode d’être est original par rapport au corps historique et qui ne s’identifie pas immédiatement à lui. Cette époque parle à son sujet de corps mystique. Enfin le corps ecclésial du Christ, celui du Christ total, qui est fait de tous ceux qui participent au même pain. Ce corps est appelé le corps vrai. Car la construction de ce corps ecclésial étant le but et le terme de toute l’économie du salut, c’est pour lui que le Christ a pris un corps physique dans l’incarnation, c’est en vue de lui qu’il a donné son corps sous forme sacramentelle » Bernard Sesboüé, Comprendre l’eucharistie. Salvator, 2020, p. 50.
« Le problème est de rendre compte à la fois de cette distinction et de l’unité entre ces trois ‘’modalités’’ de l’unique corps du Christ. Le sens de cette trilogie est de souligner l’organicité du mystère qui va de l’incarnation au salut de toute l’Eglise (et de l’humanité en elle), via la célébration eucharistique » id, p. 54.

« Le mode de présence de Jésus dans l’Eucharistie est la conséquence immédiate du don qu’il fait de lui-même par son corps et son sang dans l’acte de mourir, pour rejoindre la gloire divine. A cet acte de Jésus nous répondons par l’acte de manger et de boire. Il a dit en effet : ‘’Prenez et mangez ; prenez et buvez.’’
L’Eucharistie est un acte, avant de et pour devenir une présence. C’est pourquoi elle doit être normalement reçue au cours de la célébration de l’Eucharistie. Toute communion en dehors de la messe est une participation du fidèle à la célébration où l’hostie a été consacrée. Cette présence est évidemment originale, puisqu’elle reste cachée sous l’apparence des oblats. Elle est réelle, mais elle n’est ni géographique ni locale » id, p. 66.
« Cette présence est proprement sacramentelle. Elle est là par la médiation nécessaire du pain et du vin. Il s’agit en effet de la présence du Christ ressuscité qui par définition est devenue non localisable . Autrement dit, le corps du Christ n’est pas présent dans le tabernacle de la même manière que le ciboire y est présent » id, p. 67.
« La fin ultime de l’Eucharistie n’est pas la Présence réelle dans les oblats, mais la construction de l’Eglise en corps unique du Christ » id, p. 81.
« La visée ultime de l’Eucharistie n’est pas le changement du pain et du vin au corps et au sang du Christ, mais l’accès de toute l’assemblée au statut de corps du Christ par le don de l’Esprit » id, p. 96.

Ces distinctions, reçues de la pensée médiévale et exprimées par Bernard Sesboüé, permettent d’articuler sans opposer. C’est en effet la finalité qui donne son sens au chemin : sur cette terre nous avons besoin de la nourriture que sont les espèces eucharistiques, « Prenez et mangez. Prenez et buvez ». Cependant, elles n’ont pas leur fin en elles-mêmes, elles sont destinées à faire grandir en nous le Corps du Christ, à nous faire membres de cet unique Corps qui a pour Tête le Christ ressuscité.
Sans rien sacrifier à ce que nous confessons dans la foi concernant la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, ne risquons pas de nous arrêter en chemin, c’est la fin qui compte. Sans le développer, c’est ce que développe saint Thomas d’Aquin lorsqu’il distingue la res (la réalité à laquelle nous tendons, être un en Christ dans le Royaume, autrement dit la grâce) de la res et sacramentum (le corps eucharistique du Ressuscité reçu en communion).

Conclusion

Ces développements invitent à nourrir la réflexion qui pourra guider notre année pastorale, en particulier au sujet de nos assemblées liturgiques. Je les inscris bien entendu dans ce temps où le synode diocésain Avec les générations nouvelles, vivre l’Evangile oriente nos recherches et nos projets, en particulier par les trois visées retenues il y a un an, et qui demeurent prioritaires, celles qui concernent la Parole de Dieu, l’écologie intégrale et les jeunes.
Cependant, ce qui demeure normatif, c’est bien le titre même du synode : l’Evangile et les générations nouvelles, des mots qui disent et invitent au renouvellement des pratiques, autrement dit à être alertés sitôt que les adverbes toujours et jamais viennent à notre esprit ou à nos oreilles ; « on a toujours fait ainsi », « on n’a jamais fait comme cela ».
Cette année, comme c’est le cas depuis le mois de mars, nos liturgies peuvent ne pas se vivre comme nous en avions l’habitude. Je souhaite instamment que les quelques contraintes qui s’imposent à nous ne découragent ni ne raidissent ; réfléchissons à la manière dont nous réagissons aux limites qui nous sont opposées, du fait de nous-même, de la vie en société, des règles de la nature… Ce n’est jamais parce qu’une chose n’est pas possible que rien ne le serait plus.

Cette lettre pastorale aborde en priorité l’eucharistie et la prière dominicale ; cependant, craignons, non pas de restreindre la religion aux limites de la simple raison, mais à la compréhension à quoi peut conduire le regard simplement légal de la République.
La religion chrétienne n’est pas seulement un « culte », ou bien, si elle l’est, c’est dans toutes les dimensions de ce mot, c’est ce culte qu’est l’offrande de nous-même.
Je vous exhorte donc, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps – votre personne tout entière –, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu : c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte. Romains 12, 1.
Notre baptême nous a donné cette vocation de vivre de foi, d’espérance et de charité. Telle est bien la mission des communautés locales qui, à l’heure où les églises peuvent être moins utilisées, ne perdent rien de leur rôle mais le déploient certes dans la prière, mais aussi dans l’annonce de l’Evangile et avant tout par une vie de charité.

« Quand donc tu t’approches, ne t’avance pas les paumes des mains étendues, ni les doigts disjoints ; mais fais de ta main gauche un trône pour ta main droite, puisque celle-ci doit recevoir le roi et, dans le creux de ta main, reçois le corps du Christ, disant : Amen !
Avec soin alors, sanctifie tes yeux par le contact du saint Corps, puis prends-le et veille à n’en rien perdre » Cyrille de Jérusalem, 5e catéchèse mystagogique. SC 120, p. 155.

+ Pascal Wintzer
Archevêque de Poitiers
Le 25 juillet 2020, en la fête de l’apôtre saint Jacques

 

 

Pour aller plus loin

Le questionnaire qui suit pourra être travaillé par chacun.

Il peut l’être, dans les paroisses, par les prêtres, les diacres et les équipes pastorales ; ce qui sera exprimé nourrira le travail de préparation des rencontres à venir.

Eucharistie et assemblée de prière – quelle articulation ?

Lors de la crise sanitaire, nous ne pouvions pas participer à la messe dans la paroisse.

  • Ce qui m’a manqué ? Ce qui m’a aidé ?
  • Ce qui a été confirmé en moi, ce qui a été questionné ou m’a paru moins important ?

 Dans le contexte de votre communauté locale et de votre paroisse aujourd’hui,

  • Que faudrait-il favoriser pour permettre aux personnes qui le désirent de prier ensemble le dimanche ?      Dans quel lieu ? pour quelle célébration ?
  • Quelles sont les possibilités d’une messe paroissiale ?
    • dans quel lieu ?
    • à quelle fréquence (hebdomadaire, mensuelle, trimestrielle, autre) ?
    • quel jour ? quelle heure ?
  • Quelles autres possibilités pourraient être envisagées selon vous ?
  • Comment pourraient-elles être mises en œuvre dans votre réalité d’église ?

Vos réponses sont à adresser, lorsque ceci sera possible, au services diocésains « liturgie et sacrement » et « vie spirituelle », Maison Saint Hilaire, Poitiers.

 

 

Ressources

Documents diocésains :

  • Actes synodaux. Avec les générations nouvelles, vivre l’Evangile.
  •  Document du service liturgie et sacrements : Assemblées dominicales de la Parole.
  •  Lettre pastorale 2015 : Le pain qui met en route.
  •  Messages en temps de confinement : Aux fidèles, aux diacres, aux prêtres.

Sources théologiques et philosophiques :

  • Yves Congar, Au cœur de la liturgie chrétienne. Lex orandi, Cerf, 2018.
  • Patrice Gourrier, Le dimanche, c’est sacré. Jour de Dieu, jour de l’homme. Lethielleux, 2009.
  • Ghislain Lafont, La catholicisme autrement ? Cerf, 2020.
  • Éric de Moulins-Beaufort, Le matin, sème ton grain. Bayard, mai 2010.
  • Isabelle Parmentier, ed., Grâce au dimanche, CRER, Bayard, 2012.
  • Olivier Rey, L’idolâtrie de la vie. Tracts, Gallimard, 2020.
  • Bernard Sesboüé, Comprendre l’eucharistie. Salvator, 2020.

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