Un article de Monique Béraud, historienne et guide-conférencière à Poitiers au sujet de l’exposition « Le Père Fleury, aumônier, résistant, juste (1905-1982) » aux Archives départementales de la Vienne (30 rue des Champs-Balais, Poitiers) jusqu’en octobre 2025.
« Aucun ouvrage de fond n’a été publié à propos de celui qui fut le premier Français en 1964 à être reconnu comme « Juste parmi les nations », en reconnaissance de ses actions auprès des Juifs. En effet, le Père Fleury a sauvé des personnes, en particulier des enfants, en les exfiltrant de Poitiers au lieu d’être envoyés dans les camps de déportation…
Il se trouve que le nouveau bâtiment des Archives départementales est situé à proximité immédiate de ce camp d’internement dit de la route de Limoges. L’actuelle rue du P. Fleury était l’allée principale du camp bordé de baraquements dont il ne reste rien.
La période de l’Occupation « le difficile devoir d’être un homme
.Ce jésuite breton, professeur de latin, arrive à Poitiers en 1941. Il est nommé en 1942 aumônier auprès des 800 à 900 Tsiganes du camp d’internement, en remplacement de l’un de ses collègues, trop âgé. C’est le début d’une prise de conscience qui va le conduire à entrer en résistance contre l’occupant allemand l’année suivante en faisant jouer ses nombreux contacts. Les conditions de vie du camp sont très difficiles : boue, manque d’hygiène, de nourriture, promiscuité. D’un côté sont internés les nomades, de l’autre, les Juifs. Le rabbin Elie Bloch qu’il connait bien, n’a pas accès à ses coreligionnaires
Le 18 juillet 1942, la séparation brutale des femmes juives de leurs enfants pour être déportées le choque profondément. En janvier 1943, le rabbin est lui aussi envoyé à Auschwitz avec sa femme et sa fille : tous trois y mourront. Le Père Fleury décide de venir en aide aux Juifs internés. Il leur fait passer du courrier, prend soin des familles en détresse. Pour cela, il s’entoure de nombreuses personnes sans créer un véritable réseau, ce qui sera sa force car les nazis ne peuvent pas suivre une piste à la suite d’une dénonciation. Trois fois par semaine, il se rend dans le camp, célèbre la messe, marie les couples, baptise et catéchise les enfants.
En septembre 1943, il rejoint le mouvement de résistance de « Témoignage chrétien » dans lequel collabore la poitevine Germaine Ribière. Il y a aussi des professeurs du lycée de jeunes filles, Hélène Durand et Constance de Saint-Seine, anciennes militantes de la J E C (Jeunesse étudiante Chrétienne) qui œuvrent pour cacher des enfants et les faire accueillir dans des familles en fournissant des faux-papiers pour passer en zone libre.
Hélène Marzellier et Jeanne Fayolle, travaillant à la préfecture, sont complices et transmettent des informations sur les convois en partance. Ces femmes discrètes distribuent des journaux clandestins.
Dans cette « nébuleuse » de résistants autour du P. Fleury, il faut également citer Joseph Garnier, directeur de l’Hôtel-Dieu.
De nombreux Tziganes sont déportés en Allemagne, ceux qui restent sont emmenés au camp de Montreuil-Bellay le 29 décembre 1943.
Arrivent alors des femmes communistes arrêtées pour leur lien avec la résistance des maquis.
La libération : le COSOR , Comité des Œuvres Sociales de Résistance
Le jésuite se retrouve à diriger ce comité qui aide les familles de déportés à partir de l’automne 1944. La lenteur du rapatriement des survivants des camps nazis lui fait prendre la tête d’un convoi pour aller en chercher à Dachau avec deux cars des « Rapides du Poitou ». 102 déportés de la région reviennent grâce à cette expédition, accueillis à Poitiers sur la place d’Armes le 31 mai. En 1947, il fait rapatrier d’Allemagne les onze corps des membres du réseau Renard pour être inhumés au cimetière de Chilvert.
Le Père Fleury et les Tsiganes, peuple de mission
Toute sa vie, il aura à cœur de faire connaitre leur culture. Il les fait intervenir dans des spectacles de musique, de danse. Il soutient un poète qui se présente comme tsigane Tikno Adjam pour que ses textes soient publiés…
Le Père Fleury se bat pour que ces peuples nomades soient indemnisés des biens perdus du fait de leur internement pendant la guerre, pour que des terrains leur soient réservés pour s’arrêter.
Il fonde l’aumônerie nationale des Gitans et Tsiganes, promeut les pèlerinages des Saintes-Maries-de-la-Mer et Lourdes.
Vient le temps de la reconnaissance dès 1947 avec la Médaille de la Résistance, la Médaille militaire en 1959. Le premier ministre Michel Debré lui remet la légion d’honneur en 1960. Le mémorial de Yad Vashem l’honore du titre des « Justes parmi les nations » en 1964. Une stèle est érigée à Poitiers au bout de la rue qui porte son nom en 1985. »
Monique Béraud
Jusqu’au 3 octobre 2025
Archives départementales de la Vienne30 rue des Champs-Balais, Poitiers
Visite guidée le 15 janvier 2025