Homélie de la nuit de Noël 2024 – Cathédrale Saint-Pierre
(Is 9, 1-6 ; Tt 2, 11-14 ; Lc 2, 1-14)
« Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi. Oui, un enfant nous est né, un fils nous a été donné ! » En cette nuit très douce, en cette nuit très sainte, s’accomplit la parole du prophète Isaïe. L’évangile selon saint Luc lui fait écho. Un ange annonce l’événement qui a bouleversé l’histoire humaine : « Voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. Et voici le signe qui vous sera donné : vous trouverez un nouveau né emmailloté et couché dans une mangeoire ». Dans la nuit de Bethléem, le ciel et la terre s’unissent dans un chant d’allégresse pour rendre toute gloire à Dieu et souhaiter la paix aux êtres humains qu’il aime. Frères et sœurs, la joie éclaire cette nuit très sainte. La joie est le premier et le dernier mot de tout l’Évangile.
Pourtant notre époque n’a rien à envier à la dureté des temps tels que l’évangéliste les a racontés voici 2000 ans. Aujourd’hui, de multiples formes d’instabilité frappent de nombreuses régions du monde ; de graves questions concernent l’avenir de la planète ; les repliements sur soi et la recherche d’intérêts personnels entravent et blessent le sens de l’appartenance à notre commune humanité. Le récit de l’évangile, quant à lui, a lieu au cours d’une migration de Nazareth jusqu’en Judée pour un recensement demandé par le pouvoir impérial romain ; à Bethléem il n’y a pas de place dans la salle commune pour accueillir un couple, et la jeune femme doit donner naissance à l’enfant dans une mangeoire ; c’est de nuit qu’a lieu la naissance tandis que dehors des bergers gardent les troupeaux. L’Église a choisi cette nuit, l’une des plus longues de l’année, pour célébrer Celui qui est la vraie lumière. C’est au solstice d’hiver que la liturgie proclame « la bienheureuse espérance » (Tt 2, 13) dans le Christ, soleil véritable et victorieux.
Y-a-t-il plus pauvre naissance ? C’est alors qu’une troupe céleste innombrable se met à louer Dieu. Le Sauveur naît dans la nuit du monde. Du plus bas sur la terre au plus haut dans le ciel, la création toute entière est saisie par l’inouï de cet événement. Le ciel est désormais sur terre tandis que la terre s’élève jusqu’au ciel. Il n’y a plus d’un côté la terre et de l’autre côté le ciel. Il y a désormais alliance entre terre et ciel. Telle est la nouveauté chrétienne. Dieu entre dans la chair de notre humanité en se faisant l’un de nous pour que nous soyons faits fils et filles de Dieu. Le Christ apporte avec lui toute Nouveauté. De lui nous recevons notre dignité royale. Que Dieu puisse se faire l’un de nous est au-delà de tout ce que nous pouvons concevoir et imaginer. Ainsi, « la raison comprend que l’incompréhensible existe » (saint Anselme). Frères et sœurs, en nous il y a plus grand que nous-mêmes, un espace est ouvert pour l’adoration. Celle-ci conduit à renverser les idoles que nous ne cessons pas de fabriquer. En cette nuit, nous contemplons l’amour de Dieu qui outrepasse toute mesure humaine sous les traits d’un enfant.
La nuit de Noël nous apprend à ne pas cacher ni craindre la fragilité inhérente à notre condition humaine. Dieu lui-même se laisse voir sous le visage d’un nouveau-né, il se remet entre nos mains. Dieu n’est pas « le Tout-Puissant » tel que nous l’imaginons souvent. Il ne vient pas seulement visiter notre terre. Il vient épouser notre condition humaine, il se fait l’un de nous en toute chose excepté le mal et le péché, pour nous conduire sur le chemin de notre divinisation. Rien de moins ! Désormais le temps et l’espace sont habités d’une présence annoncée par les prophètes, celle du Messie de Dieu. L’attente d’Israël est parvenue au maximum de son intensité, telle était déjà la prière du prophète Isaïe : « Ah, Seigneur, si tu
déchirais les cieux et si tu descendais ! » (Is 63, 19). Le Seigneur Jésus ne viendra vite que si nous l’attendons beaucoup. C’est une accumulation de désirs qui doit hâter sa venue. En cette nuit, l’accueil de l’enfant de Bethléem fait de nous des pèlerins d’espérance. Nous sommes en chemin quand nous écoutons sa Parole vive pour qu’elle devienne notre nourriture. Bethléem veut dire « maison du pain ». Dans l’enfant nouveau-né de Bethléem, se laisse entrevoir le pain eucharistique préfiguré dans les récits de multiplication des pains. Jésus est venu habiter notre terre pour la nourrir, la rassasier et la transfigurer.
Douce nuit, sainte nuit de Noël ! L’enfant de Bethléem est le plus beau cadeau que notre Père du ciel pouvait nous donner. Éternelle enfance de Dieu. Il est venu et il vient illuminer notre terre. Plus que jamais, qu’il fasse de nous des artisans de paix, qu’il nous donne d’ouvrir notre cœur et notre main à ceux et celles qui sont dans le besoin pour façonner une terre selon le cœur de Dieu. Amen,
Père Jean-Paul Russeil
Administrateur diocésain