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Homélie de la messe chrismale
Mgr Wintzer - 3 avril 2023

« Chaque année, lors de cette messe chrismale, nous honorons les prêtres jubilaires. Est-ce un exploit d’avoir été prêtre pendant 25, 50, 60, 70 ans ?Au fil des années qui se multiplient, il y a bien entendu l’exploit du grand âge ; nous connaissons le psaume : « 70 pour les plus vigoureux, à 80 c’est un exploit. » Le psaume parle des années de vie ; lorsqu’il s’agit de 70 années d’ordination, l’exploit est d’autant plus remarquable.Mais, si l’exploit, ce sont les ans, est-ce un exploit d’être prêtre pendant 40, 50, 60 ans ?

Ma réponse est non : la fidélité ne doit pas être regardée comme une exception, et comme si, de ce fait, l’incapacité à tenir dans ses engagements serait la norme.Et ceci peut s’entendre de tout engagement, le sacerdoce, le mariage, la vie consacrée, etc. Il faut se garder de penser que la fidélité serait un combat de chaque instant, comme si un lion rugissant était perpétuellement aux aguets cherchant à nous mordre ou nous dévorer.La fidélité n’est pas un exploit, un combat, elle est d’abord une paix et une joie. En effet, c’est épuisant de sans cesse se demander si demain je serai encore ce que je suis aujourd’hui.Certes, peuvent survenir des événements inattendus, des changements de cap, mais c’est plutôt de l’ordre de l’exception.Bien de nos vies, et de l’ordinaire de nos vies se déroulent sur un chemin qui se poursuit avec beaucoup d’identique.

Pourtant, nous avons de la peine à l’accepter. Nous sommes souvent habités par cette idée que, pour que la vie soit exaltante, il faudrait des changements permanents, de l’inattendu, des surprises chaque matin au réveil. On nous laisse penser que l’habitude serait la cause de la fatigue de vivre… je crois plutôt que c’est le happening permanent qui lasse, voire qui épuise.La fidélité, l’habitude, les repères stables installent une vie, la fondent, la soutiennent aussi.C’est un peu comme dans un choral de Bach, il faut le cantus firmus, le thème du choral, pour que puisse se développer le contre-champ et toutes les variations.La fidélité à ses engagements, qui est aussi la fidélité à soi-même, et bien entendu au Seigneur, n’est pas un poids, elle est un vrai soutien.

Mais, parce qu’il y a un « mais », il faut que cette fidélité soit fondée dans la réalité et la vérité que nous sommes.Ceci souligne d’autant qu’il faut du temps pour vérifier que nous sommes réellement faits pour tel ou tel engagement.Surtout, il faut accepter que d’autres que nous puissent nous aider à le vérifier. Un choix, un engagement qui n’est fondé que sur la volonté ne tiendra pas.

Et puis, si le choix est seulement volontariste, il va raidir la personne ; la vie ne sera pas facile pour elle, et surtout cela ne sera guère facile pour les autres.Je ne connais pas beaucoup de gens qui sont raides avec eux-mêmes et qui ne le sont pas avec les autres.De grâce ne faisons pas porter aux autres nos problèmes personnels ! La souplesse ne nuit pas, elle aide plutôt à vivre, et surtout, elle est bénéfique aux autres.

Parmi les jubilaires de cette année, il y a mon prédécesseur, Mgr Rouet, il fête ses 60 ans d’ordination presbytérale.Il n’est pas avec nous car il s’est engagé à célébrer toute la semaine sainte dans une paroisse du diocèse de Périgueux qui, sans sa présence, n’aurait pas eu de liturgies.Je me souviens l’avoir entendu dire plusieurs fois que l’instrument dont devait souvent user un évêque, c’est une burette d’huile.Dans bien des situations, chez bien des personnes, il y a des tensions, des raideurs, des douleurs aussi.Ceci touche tant les personnes, les familles que l’ensemble de la société. Alors, il faut de l’huile !

Nous traversons une période de fortes inquiétudes ; le territoire du diocèse en est marqué, en particulier par les débats, les tensions, les violences liées à la création des bassines, en particulier à Saint- Soline et à Mauzé-sur-le-Mignon. J’ai parlé de débats, de tensions, de violences ; les violences nous marquent, mais elles ne peuvent servir de prétexte à ne pas entendre les débats liés au modèle d’agriculture, et même de société qui doit être choisi pour être vivable pour les décennies à venir. Le rôle d’un responsable, qu’il soit civil, politique, économique ou religieux est de tout faire pour ne pas aviver les tensions.

Je dis ceci sans me mettre en surplomb ; je sais que des paroles, des écrits peuvent blesser. Il est facile de dire que ceci n’est pas volontaire ; il est plus noble de toujours réfléchir à ce que l’on dit ou écrit, non pour ne rien dire, mais pour que la parole, le texte construisent plutôt qu’ils ne blessent. L’huile est ce qui est fait pour apaiser, pour assouplir… toutes ces belles images qui sont employées au sujet de l’Esprit Saint dans la prose du Veni Sancte Spiritus.

Pourtant, comment conjuguer la douceur de l’huile et la force de l’engagement ? Il faut tenir les deux. Nous avons aussi besoin de paroles de feux ; l’Esprit Saint est un feu, une vive flamme. Je rappelle que qu’écrivait Georges Bernanos dans son Journal d’un curé de campagne : « Le bon Dieu n’a pas écrit que nous étions le miel de la terre, mon garçon, mais le sel.

Or notre pauvre monde ressemble au vieux père Job sur son fumier, plein de plaies et d’ulcères. Du sel sur une peau à vif, ça brûle. Mais ça empêche aussi de pourrir » (Plon, 1974, p. 44). Du miel non, mais du sel… du sel et aussi de l’huile ; il faut l’un et l’autre.

Tout l’enjeu est de discerner ce qu’il est juste d’employer dans chaque situation et pour chaque personne. Puis-je penser que, sans doute, nous avons aujourd’hui plus besoin d’encouragements que de reproches ? Les huiles qui sont bénies et consacrées ce soir nous sont données pour être un baume pour nous et pour ceux pour lesquels nous allons les employer.

Un point d’attention consiste à ne pas faire porter aux autres les peines, les inquiétudes voire les souffrances que nous pouvons connaître.Nul ne peut échapper à tout cela, mais ceci ne les a jamais apaisées que de désigner certaines ou certains comme en étant les responsables. Agir ainsi n’apaise pas, tout au contraire, ceci fait entrer dans le cycle du ressentiment ou des culpabilités.

On le constate dans la société lorsque l’on verse dans cette attitude de désigner des responsables, voire des coupables, depuis le peuple juif jusqu’aux populations immigrées d’aujourd’hui. Cela peut aussi exister dans l’Église, certes, de manière ni dramatique, ni criminelle, lorsque l’on pense que les problèmes viennent ou du clergé, ou des laïcs, ou de l’action catholique, ou des mouvements spirituels… la liste peut être sans fin.

Bien entendu qu’il y a des dysfonctionnements, des erreurs et même des fautes ; oui, il y a des choix qui séparent, isolent, qui développent les chapelles idéologiques plutôt que la grande Église.

Mais on entre dans cette logique lorsque l’on cherche et dénonce les coupables plutôt que l’on agit pour renouer ce qui est disjoint. Ceci doit être notre mission première, à nous, les pasteurs, les prêtres et les évêques.

Tenant d’une part la vérité d’une parole, le sel de cette parole, le service de son tranchant, au risque de verser dans l’esprit du monde.

Et tenant d’autre part la douceur d’une huile qui apaise. »