Tribune de Mgr Wintzer, publiée par La Croix le 29 mai 2024
Fin de vie : feu la fragilité !
Pour parler de la fin de vie, on peut s’adresser aux élus, on peut aussi se tourner vers les citoyens ainsi que vers soi-même. En effet, le législateur prend en compte, en tout cas sur un tel sujet, les attentes de la population, exprimées par les sondages comme par les médias. La demande d’euthanasie vient de la crainte que nous avons de voir notre vie altérée, diminuée, de s’envisager sans autonomie, entièrement dépendant des autres et même un fardeau pour eux. A une époque pour laquelle l’autre est perçu comme un risque (les faits de violence et d’emprise peuvent conduire à se garder de toute relation) et une menace (la violence peut jaillir en tout lieu et à tout instant), la dépendance aux autres suscite une peur absolue. Or, chaque être humain a vécu cette dépendance, et pendant de longues années : celles qui ont suivi notre naissance jusqu’à ce que nous devenions peu à peu capables, si nous ne portons pas de handicap, de nous lever et de faire des choix. Ont-elles été si inhumaines ces années de la petite enfance et de l’enfance en général ? Nonobstant les situations de maltraitance familiale, pour la plupart d’entre nous, avons-nous mal vécu ces années où nos vies, si fragiles, ont été accueillies, choyées, aimées ?
Le temps de la maladie grave, comme celui du grand âge, pourrait être compris et vécu de manière analogue, dans la confiance remise aux personnes qui sauront (et qui savent) prendre soin de nous. Certes, tout doit être fait pour soulager les souffrances, et ceci demande de poursuivre et de financer la recherche, tout comme de former les personnes dont les compétences seront le cure mais aussi le care. Il faut tenir, et le demander dans les directives anticipées, que l’acharnement thérapeutique est à refuser, y compris lorsque les techniques permettent de stopper le processus qui conduirait à la fin naturelle de la vie. La vie est fragile, elle exige respect et délicatesse. Elle doit cependant s’achever, c’est la certitude à laquelle nul ne peut échapper. Pour ma part, chrétien, sans femme ni enfant, si je crains la souffrance, la mort ne m’effraie pas. A mon âge, je pense avoir fait ce que je pensais pouvoir faire. Certes, je peux me répéter, je le fais trop souvent, mais si la vie s’arrête pour moi aujourd’hui, je l’accepterai sans difficulté, si ce n’est la résistance de l’instinct qui fait que nous nous accrochons.
La référence au passage de la petite enfance pourrait nous aider à vivre semblablement le passage du grand âge. Les chrétiens y voient l’espérance de l’accès à une vie au-delà de cette vie-ci, une vie où l’on découvrira que s’abandonner aux mains de Dieu ne nous retire rien mais donne tout. Comme le petit bébé, le vieillard a besoin de soins constants. Pour son hygiène, sa nourriture, le bien-être de son corps. Il doit pouvoir être pris dans des bras comme aime à l’être le bébé, parfumé, et aussi se voir accordé ce qui va apaiser sinon ses pleurs, du moins ses angoisses : ceci peut aller d’une sucrerie, à la cigarette, voire au petit verre d’alcool. Pourquoi refuser au vieillard ce que l’on accorde au bébé ? Mieux vaut mourir satisfait que frustré dans ses désirs. Le grand âge est une nouvelle naissance ; il n’est pas un retour mais un avènement.
La vie est fragile, comme telle elle appelle la délicatesse. Elle doit être entourée, accompagnée. Ceci concerne la vie humaine mais aussi tout ce en quoi s’exprime cette vie.
Le grand défi de nos générations est l’écologie, le soin apporté aux êtres humains comme au vivant en général. Alors que l’on mesure les effets néfastes de la société de puissance et de maîtrise dont nous héritons et de laquelle nous ne sommes pas vraiment sortis. Alors que l’on sait les conséquences du dérèglement climatique, beaucoup veulent perpétuer nos modes de vie et de production. Plutôt que de développer des plantes et des pratiques moins gourmandes en eau et en intrants, on multiplie des projets de bassines. L’exemple de l’agriculture en est un parmi d’autres. Le projet de loi sur la fin de vie est dans cette logique qui pense que la « tech », dont on vient de chanter les louanges par un grand raout national, serait la solution à nos problèmes. L’humilité du soin devrait être l’impératif moral qui préside à cette écologie intégrale qui sait que l’attention que l’on développe pour les êtres humains conforte celle que nous devons avoir pour la nature.
Enfin, puisqu’il s’agit d’un projet de loi, il convient de l’évaluer au regard de ce qu’est la loi. Celle-ci, quel qu’en soit le domaine, ne trouve sa nécessité et sa légitimité que dans la protection du faible et du fragile. Le puissant n’a pas besoin de loi, sa loi c’est sa force, quel qu’en soit le mode d’expression : argent, pouvoir, influence, statut religieux… La loi défend et protège celui qui n’a que sa vie. Le conduire à penser que celle-ci n’aurait plus de valeur, n’est-ce pas l’ultime perversion de la loi ?
+ Pascal Wintzer, archevêque de Poitiers