Décédé hier, le 24 avril 2024, le réalisateur Laurent Cantet, palme d’or 2008 pour son film « Entre les murs » était originaire des Deux-Sèvres.
Vous trouverez ci-dessous le texte de Pascal Wintzer, publié en septembre 2008 à l’occasion de la sortie de « Entre les murs ».
Entre les murs
Les habitants de la Vienne et des Deux-Sèvres ont, plus que d’autres, des raisons d’aller voir le film « Entre les murs » de Laurent Cantet : celui-ci a passé une partie de son enfance à Chef-Boutonne, ses parents étaient enseignants à l’école communale d’Ardilleux.
Ce film a reçu la Palme d’or au dernier festival de Cannes. Or, quelques années plus tôt, un autre film, se déroulant également dans un établissement scolaire, avait reçu cette même distinction : « Elephant », de Gus Van Sant.
« Entre les murs » et « Eléphant » parlent des jeunes et de l’école ; pourtant, ces deux films sont bien différents, mais par leurs différences, ils nous instruisent.
« Elephant » s’inspire du massacre de Colombine : le 20 avril 1999, aux Etats-Unis, deux lycéens avaient ouvert le feu dans leur lycée, tuant 13 personnes et en blessant grièvement 24 autres. Etonnamment, et douloureusement, la veille de la sortie sur les écrans d’ « Entre les murs », nous apprenions qu’en Finlande, un autre adolescent, fasciné par les armes, tuait 10 personnes dans son école, avant de se donner la mort.
Par son style, sa mise en scène, « Elephant » est certainement d’une écriture bien plus riche qu’ « Entre les murs » ; cependant, la différence la plus notable entre ces deux films, elle est entre le silence et la parole. Dans « Elephant », on ne parle pas : le film nous montre la déambulation des élèves, entre autres des deux futurs meurtriers, dans les couloirs larges et lumineux d’un lycée paisible et bien policé, mais sans doute enfouissant dans un silence contrôlé des pulsions irrépressibles de violence.
Le climat est tout différent dans la classe de 4ème du film de Laurent Cantet. On y parle en permanence, à tort et à travers ; parfois on s’efforce de comprendre quelque chose de l’imparfait du subjonctif, le plus souvent, on utilise l’invective.
Le film se résume en une perpétuelle joute oratoire. Entre les élèves et leur professeur ; entre les élèves eux-mêmes. C’est aussi le professeur de français, incarné par François Bégaudeau, l’auteur du livre dont le film est inspiré, qui prend toujours le risque de la parole, jusqu’à déraper lui-même (ce sera l’emploi du mot « pétasses » à l’encontre de deux élèves qui l’ont particulièrement énervé).
Dans ce film, la parole est ce qui permet à des relations, pourtant marquées en permanence par le rapport de force, de continuer à se vivre : tant que l’autre est quelqu’un à qui l’on parle, il demeure une personne à qui je m’adresse et qui peut s’adresser à moi.
Au contraire, lorsque la parole est absente, c’est l’exclusion ; exclusion du savoir (à la fin de l’année scolaire, une élève mutique durant tout le film dit à son prof : « je n’ai rien compris » ; son prof lui a-t-il adressé la parole à un moment ou l’autre de l’année ?) ; exclusion de l’établissement (un élève est sanctionné par le conseil de discipline à la suite d’un geste de violence).
Contredisant son titre, le film « Entre les murs » montre que la parole est ce qui permet à chacun d’ouvrir les murs dans lesquels les adolescents silencieux d’ « Elephant » son enfermés.
Plus que l’ordre d’une parole toujours maîtrisée, voire interdite, la religion de la Parole qu’est le christianisme – comme l’a développé le pape Benoît XVI lors de son discours aux Bernardin – peut toujours se rappeler que sa première mission est d’écouter la parole, et de risquer une parole.
Pascal Wintzer, Evêque auxiliaire à Poitiers
Septembre 2008