Depuis 1918, le 11 novembre, qui était la fête de saint Martin, et qui le demeure bien entendu, est aussi devenu la commémoration de l’armistice.
Il est hasardeux d’opérer un rapprochement entre ces deux événements, seule la coïncidence de date permettrait de le faire. Pourtant… je prends ce risque.
Saint Martin, que je pourrais dire, avec ce nouveau risque de l’anachronisme, était un homme européen, depuis sa Hongrie natale, soldat de l’empire romain, puis moine et évêque, il est surtout renommé pour avoir annoncé l’Evangile dans les campagnes.
A son époque, l’Evangile ne s’était répandu que dans les villes, suivant les voies de circulation de l’Empire, les campagnes étaient restées attachées aux cultes anciens, celtiques, gaulois, d’autres encore.
C’est le mot latin « pagus » qui définissait ces territoires ruraux, d’où le mot de « païens » : les païens sont les habitants des campagnes, et de ce fait les personnes sacrifiant aux cultes ancestraux.
Martin, avec ses compagnons, va donc sortir de la ville pour annoncer l’Evangile aux… païens.
Nombre de nos communes et anciennes paroisses en portent la mémoire : près de 500 bourgs ou villages et près de 3700 paroisses, en France, portent le nom de saint Martin.
Martin, va donc s’attaquer aux anciens cultes ; dans nos mentalités contemporaines, on verrait cela comme un non-respect des cultures et des histoires.
Ainsi, par exemple, il va abattre les arbres sacrés qui étaient vénérés par les cultes druidiques – vous pouvez réviser le sujet avec les albums d’Astérix !
Nous ne sommes plus dans un tel contexte, nos pratiques, même celles qui consistent, pour les chrétiens, à annoncer l’Evangile, ne conduisent plus à abattre des arbres, voire des temples.
Pourtant, nous avons encore à recevoir de l’exemple de saint Martin.
Il y a des paganismes à combattre, ou bien, si vous voulez, il y a des passions humaines qui sont néfastes et destructrices.
Alors que nous rappelons l’armistice de 1918, nous voyons la violence demeurer entre les peuples et entre les personnes. C’est un peu comme si nous n’apprenions rien du passé et de nos erreurs.
Quel profit peut-on retirer à tuer et à détruire ?
C’est aussi comme si ceux et celles qui œuvrent pour la paix devaient être combattus.
On peut rappeler l’assassinat d’Isaac Rabin, ou encore d’Anouar el Sadate.
Ils avaient, en leur temps, contribué à chercher des solutions au conflit Israël-Palestine, et ce sont des membres de leur camp, des extrémistes Juif et Musulman qui les ont assassinés.
Dans quelque situation que ce soit, sociale ou privée, la violence est toujours la pire des solutions.
Elle ne mène à rien, il faudra qu’elle cesse, et c’est à ce moment que d’autres chemins seront employés.
La violence n’aura conduit qu’à perdre du temps, mais surtout à détruire des vies, mais aussi des biens, des villes, des œuvres d’art, des économies aussi.
Même si nous ne participons pas directement au cycle des violences, nous pouvons aussi être parfois habités par ces mauvaises passions.
Elles s’expriment dès l’enfance.
Les prises de conscience et les actions menées contre le harcèlement scolaire réveillent de la naïveté rousseauiste.
Les violences urbaines qui ont traumatisé nos villes, jusqu’aux plus petites, en juin dernier disent pareillement que le cœur de l’homme est compliqué et malade.
Il faut cependant se garder de penser que, tout cela, ce serait « les autres ».
Nous pouvons, certes, n’avois commis aucun geste de violence, ne pas avoir sciemment et volontairement blessé quiconque, qui d’entre nous n’est pas parfois habité par ce que la tradition chrétienne appelle des péchés et la philosophie les « passions tristes ».
Dans sa lettre aux Galates, l’apôtre Paul en dresse une liste :
« On sait bien à quelles actions mène la chair : inconduite, impureté, débauche, idolâtrie, sorcellerie, haines, rivalité, jalousie, emportements, intrigues, divisions, sectarisme, envie, beuveries, orgies et autres choses du même genre »
Galates 5, 19-21.
Et Paul oppose, à ces désordres, dont le fond est toujours de rivalité et de haine les uns envers les autres, les vertus, les dons de l’Esprit-Saint :
« Voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi »
Galates 5, 22-23.
Et d’ajouter plus loin : « Ne cherchons pas la vaine gloire ; entre nous, pas de provocation, pas d’envie les uns à l’égard des autres » Galates 5, 26.
Loin de reporter les maux du monde sur les autres, et donc de penser que l’isolement, les murs, les séparations de toutes sortes nous mettraient à l’abri des méchants, la tradition chrétienne porte l’appel à la conversion.
Elle peut s’exprimer sous le mode d’une réponse à cette question : « Qu’est-ce qui ne va pas dans le monde ? » Et de répondre : « C’est moi ! »
Bien sûr que nous pouvons nous sentir impuissants au spectacle de certaines violences, lointaines ou proches, pourtant nous avons chacune, chacun capacité à éviter tout propos, et donc tout jugement qui renvoie les gens dos à dos, qui accréditent le caractère inéluctable des rivalités et des antagonismes.
L’enjeu est de combattre une autre passion triste qui se manifesterait en termes de résignation, de désespoir.
Le grand spirituel chrétien de la deuxième partie du XXe siècle, Maurice Zundel, y voyait le défi principal pour les chrétiens, et sans doute bien au-delà : espérer en l’humanité.
« Les derniers mots de Jésus ce n’est pas d’aimer Dieu, c’est d’aimer l’homme.
Ce que l’expérience nous apprend, c’est que la foi la plus difficile, c’est la foi en l’homme. Il faut pour cela une espèce d’héroïsme.
Beaucoup sans doute s’imaginent qu’ils ont foi en Dieu parce qu’ils cherchent une dispense de croire en l’homme » Maurice Zundel, Un autre regard sur l’homme. Editions du Jubilé, 2005, p. 197.
En parcourant les campagnes, Martin a montré qu’il croyait en la capacité de chacun à accueillir l’Évangile.
Qu’il nous aide à ne pas désespérer ni de nous-même, ni des autres, et à espérer, même contre toute espérance.